Pair aidance

Ecriture : Alexandra G.

Il était une fois une structure Institutionnelle. Oui, avec un I majuscule. Je ne vous dirai pas laquelle car je ne le sais pas moi-même. Mais voila, la hiérarchie était stricte, de haut en bas et de bas en haut. En haut Madame la Directrice, oui, avec un D majuscule. Puis le Psychiatre, lui aussi avec un P majuscule. Et puis venait le Médecin et le Cadre Infirmier. Et en bas y avait jean, lui, n’avait pas droit a une majuscule, c’était un usager, un patient. Un peu impatient mais il était obligé de l’être parce que c’est tout ce qu’on l’autorisait, et encore, à faire, juste exister dans les normes de l’Institution et dans le respect de la Hiérarchie de façon verticale et sans contestation possible. Vous me trouvez un peu militant et pourtant je n’avais pas trop subi cette verticalité, j’avais sur m’en affranchir. Puis je me suis rétabli, mes troubles ont cessé de m’empoisonner ou presque. Je voulais aider à mon tour et je suis arrivé dans cette structure Institutionnelle en stage en tant que pair aidant en santé mentale. Je vous tais mon nom car je ne m’en souviens plus, je n’étais plus ni un patient ni un professionnel, je n’étais qu’un numéro dans un décret de loi que personne n’avait réellement lu ou compris. A moins qu’il s’agisse de mauvaise volonté. Bref, je passe au présent, c’est ce que je vis en ce moment, du conte on passe au réel…

Je commence mon stage, parachuté dans cette structure par une personne ressource qui avait cru et m’a fait croire en mes capacités de pair aidance. Tout c’est bien passé les premiers jours jusqu’au jour ou le Cadre infirmier apprend par moi-même, quel crétin, que je dois m’absenter pour un rendez-vous ce mardi après-midi. Je laisse échapper que j’ai rendez-vous avec l’éducatrice qui me suit depuis douze ans maintenant.

– Mais comment ça?! Vous êtes encore accompagné ? Mais vous êtes guéri normalement monsieur. Et oui, je viens de perdre ma majuscule, je suis de nouveau un patient bien qu’impatient de travailler et d’aider mon prochain. Je suis soudain sidéré par la réaction d’une personne avec qui j’ai eu auparavant des relations cordiales et d’égal à égal. Et brusquement, mon statut à ses yeux vient de changer de case, sans que mes compétences et mon savoir expérientiel est changé. Je tente de répondre :

– Mais c’est bien ça le principe de la pair-aidance Monsieur le Cadre Infirmier, je suis là dans mon rôle et je me suis formé à cela. C’est mon travail.

Le cadre me regarde comme si je suis devenu ou redevenu fou selon le point de vue. Ça bouillonne en moi, je suis en colère, inquiet, frustré, j’ai envie de pleurer de rage ou de chagrin mais je suis content d’avoir sur répondre malgré la sidération. Et le Cadre Infirmier, fort de sa majuscule me dit :

-Je vais en parler avec le Psychiatre et la Directrice. Cela remet en question notre organisation, vous comprenez bien.

Je sais par on dit que les équipes peuvent être réticentes, mais à ce point, à ce niveau de mépris et d’ignorance… Je n’ajoute rien, trop sidéré pour argumenter. Je sors dans la cour de la structure Institutionnelle avec sa majuscule de majesté et me retrouve avec les autres patients dont un qui me plaît beaucoup car il est adorable même si très renfermé sur lui-même et peu loquace. Il me voit et comme il m’aime bien, il sourit et me demande les yeux un peu larmoyant :

– Tu peux m’aider ?

Je suis sans nom et j’ai perdu ma majuscule. L’estime de soi c’est difficile, surtout quand le monde extérieur te renvoie dans les dents tes propres difficultés. Je répond donc à Jean, je lui rend sa majuscule parce qu’en réalité c’est la colère envers le Cadre qui m’anime le plus à cet instant. Je ne la laisse pas transparaître par bienveillance pour Jean. Mais je lui explique les choses, par soucis de transparence et avec l’espoir secret, celui qui m’anime et anime tous les gens qui se sont formés comme moi que le changement viennent de la base. Je lui dit donc :

– Je voulais t’aider Jean mais je ne peux pas, je suis désolé, on me l’interdit. J’ai les compétences mais le Cadre n’y croit pas parce que je vois une éducatrice régulièrement. Il faudrait bien qu’il finisse pas y croire… C’est pas parce qu’on m’aide que je ne peux pas aider. Au contraire, j’en suis capable, ça me rend triste de ne pas être légitime, parce que ça me rend triste de ne pas pouvoir t’aider.

Il faut que ça change, tu comprends ?

Jean me sourit, en quelque sorte il me remercie de lui avoir rendu sa majuscule. Et il me dit, tout simplement :

– Mais tu m’aide beaucoup, juste en me parlant.

Je lui renvoie son sourire, c’est des situations comme celle là qui m’anime, qui me font espérer, croire en des jours meilleurs. Tout cela malgré la structure Institutionnelle, le Psy et le Cadre Infirmier dans toute leur majesté. Je suis pair aidant, on m’a aidé et je peux aider, je suis légitime, et moi aussi j’ai le droit à la majuscule, à travailler, à me former et a rentrer dans le dictionnaire. BORDEL.

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