Ecos logis

Le pourpre du lac, l’orange du soleil qui s’enfonce dans le sable. Le bourgeonnement lointain des nuages de l’orage qui approche. Fluide, la silhouette d’Anna glisse dans l’eau, son dos musclé mais souple luit des gouttelettes de pluie qui commence à tomber.

Elle est si belle cette jeune fille, si douce que même sans voir son visage, on devine son sourire, sa poitrine ferme, le blanc pâle de son ventre, le creux de son nombril où se glisse une pierre bleue que l’on aperçoit lorsqu’elle s’avance vers la rive.

Ses cuisses émergent enfin de l’élément liquide, musclées et élancées. La nudité ne l’amoindrit pas, au contraire, elle renforce en elle la force sensible et féminine, la rupture avec l’altérité du monde viril, la sensualité de la solitude, lorsque personne ne vous voit, que le corps se relâche, que vous vous laissez aller à vous-même.

Anna est, elle-même, partout, tout simplement. Elle s’arrête un instant, ses doux pieds encore dans l’eau tiède et tourne son regard vers l’horizon, de petites gouttes de pluie luisent comme des diamants dans ses cils emmêlés, on pourrait croire qu’elle vient de pleurer. Si c’est le cas, ce sont des larmes de plénitude, d’adéquation avec le monde vivant.

Elle écarte lentement ses bras fins, légèrement plus halés que son dos nu, des aisselles lisses et très claires apparaissent, le regard ne peut que s’arrêter sur le sillon de ses fesses et leur courbe douce, aussi parfaites que le silence qui n’est troublé que par le léger clapotis des vagues et la chute des myriades de gouttes d’eau qui commencent à grossir.

La jeune fille goûte ce silence paradoxal, cette unité avec le paysage qui l’entoure, elle ferme les yeux. Si un observateur pouvait décrire cette scène, il ne le ferait pas autrement. Elle respire au rythme du climat, en profondeur, son ventre se creuse et se gonfle alternativement tandis que l’oxygène pénètre au plus profond de son corps et jusque dans les extrémités de ses mains, de ses pieds. Lorsque le premier grondement de tonnerre parvient jusqu’à elle, elle ouvre les yeux et voit le monde à nouveau. Sensiblement différent et toujours similaire, toujours aussi beau, entier avec elle.

Anna, un mince sourire au bout des lèvres quitte la grève et récupère un peu plus loin sur l’herbe grasse les vêtements qu’elle avait abandonnés avant sa baignade. Elle ne se précipite pas pour s’habiller et s’assoit sur le sol en position du lotus. Elle ressent les ondes telluriques la parcourir, les lignes de forces, les lignes de failles qui grondent au ralenti dans la terre avec laquelle elle ne fait qu’une. A travers ses paupières à nouveau fermées, elle devine les illuminations subites des éclairs et le roulement du tonnerre qui glisse au creux de son ventre la rumeur d’un plaisir solitaire.

Elle sent aussi le chatouillis de l’herbe sous son corps, le poids de celui -ci dans le sol meuble, l’imperceptible enfoncement alors qu’il l’accueille en douceur, la reconnaît comme créature vivante partie prenante de cette écosystème. Elle pénètre la terre à son tour, y glisse une mélodie nouvelle, encore plus douce, encore plus saine. Une forme d’amour plein et sensuel, discret comme la plus petite créature, éclatante comme le soleil le plus haut dans le ciel.

L’orage est sur elle et Anna n’a pas peur, au contraire. Elle est trempée et heureuse. Elle sursaute de joie à chaque éclair et rit en réponse aux grondements du tonnerre. Le silence est en elle, et c’est une musique merveilleuse, extraordinaire. Sans regrets, elle enfile sa culotte blanche et son t-shirt gris lui aussi dégoulinant de larmes des météores. Le reste de ses affaires, elle les enfonce dans son sac à dos. Pieds nus, elle gravit chaque marche qui la sépare de la maison dans l’arbre. Elle glisse en douceur sur le sol avec grâce comme si elle était toujours dans l’eau, comme avant l’orage. Elle grimpe l’échelle de corde et se retrouve à l’abri. Elle pose son sac dans un coin et s’allonge lentement dans le lit pour s’endormir instantanément, bercée par le temps, complétée par le monde.

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