J’y pensais depuis un moment. Je me déshabille, jette mes vêtements au hasard sur la dune. J’ai préparé une lettre que j’ai raturé, encore et encore, amis, famille, désespoir.
La nuit est claire, la Lune projette de minces ombres, je discerne derrière moi ma silhouette. Je ris, je ris parce qu’il n’y a plus que cela à faire, et j’ai l’impression que le vent me répond en écho, un susurrement, un chuchotement dans mes oreilles alors que je tourne le dos à l’océan.
Ma peau frisonne, je tremble mais je m’en moque. J’espère et j’ai raison, il y a un ailleurs, un monde où je suis comblée. Je ramène mes bras sur ma poitrine à la manière d’une embrassade solitaire, le lointain souvenir d’une étreinte fraternelle. Aujourd’hui je suis seule, plus seule que je ne l’ai jamais été.
Je veux faire face à mon destin, alors, je me tourne et ouvre grand les yeux sur l’océan infini. Le vent du large glace mon visage et caresse mes jambes, mon ventre, mes seins comme un amant attentionné mais aux mains glacées. J’avance alors, je descend la dune, la dernière dune au devant de l’avenir pour lequel je me suis décidée. Je porte en tout et pour tout ma lettre et un galet rond, celui que j’ai gardé toutes ces années, plus qu’un souvenir, un nœud de l’esprit, un joyau de pensées qui se cristallise dans le froid nocturne.
J’avance encore, je suis sur la plage. La Lune éclaire bien plus qu’elle ne devrait et j’atteins le blockaus, vestige d’une guerre qui n’a jamais eu lieu, ou du moins, jamais ici. Justement, c’est de guerre lasse que je me trouve là. Après avoir tant cherché, tant trouvé et jamais satisfaite. Je pose ma lettre sur le béton armé et je pose par dessus le galet, symbole de l’ailleurs et d’autrefois. Je me recueille un long moment, je regarde cette pierre et la lettre qui a été si difficile à écrire. J’y suis presque.
C’est l’acte final, mon choix est définitif. Le ciel pâlit à l’est, le jour arrive et je discerne de mieux en mieux les vagues de l’Atlantique qui m’appellent dans la langue des mers. Je jette un dernier regard à ma lettre, à la lettre que peut-être personne ne lira jamais, à la lettre que peut-être quelqu’un chérira pour toujours. Ma lettre. Ma décision. Je détourne le regard.
Me voilà face au vague, à quelques mètres de ma dernière aventure. Dix ans ont passés ou peut être dix mille, je ne sais plus. Le vent me repousse et me gèle les os mais mon esprit plus vif que mon corps agressé par les éléments est certain d’une chose. L’océan est une mère nourricière, une nouvelle nation où je pourrai vivre enfin, en paix.
Je pose un premier pied dans l’eau, puis un deuxième et comme je l’espérais cela n’est pas si froid. Je progresse lentement, à quelques mètres des premiers rouleaux que je discerne de mieux en mieux tandis que le ciel prend une teinte rosée. Le jour arrive et je pars, seule. Je suis dans les vagues et je n’ai plus pied. Mon courage est derrière moi, je nage énergiquement pour épuiser mon corps, toujours vers le large, loin de ce monde, loin des vêtements éparpillés sur la dune, loin de ma lettre et de cette roche, de ces souvenirs qui ne représentent plus rien. Je sens les courants m’emporter, je nage, mais je ne suis plus maître de mon destin. C’est le but.
Mes forces s’amenuisent, j’entends un son lointain et inattendu. Un signal, une corne de brume, un phare sonore qui me guide plus loin vers l’horizon gelé du grand océan. Une curieuse chaleur envahit ma poitrine et irradie mes membres tétanisés par le froid des eaux. Il n’y en a plus pour très longtemps, je surnage à peine. Non, je suis sous l’eau. Je ne peux plus parler. Je pense à peine tandis que l’océan envahit mes poumons et atténue ainsi mes tous derniers sanglots.