J’ai la rage en fractale, colères disséminées dans une perte de contrôle mathématique. Le froid de la fureur emporte ma conscience, libère les vannes d’une détresse sans fin, d’un désarroi profond devant ma propre violence. Je vois rouge, rouge carmin, rouge sang, le rouge de la vie et de l’envie de meurtre. Je crie, je hurle, je montre les dents, je fixe au piloris l’adversaire du moment, le cloue sur une croix, vengeance invertie pour cette même colère. Je libère l’humeur brûlante qui me chauffe les entrailles, recouvre de ma haine le monde extérieur, sans distinction aucune, je tire au hasard dans la foule, l’autre est l’ennemi, par définition.
Je bous à l’extérieur mais je gèle en dedans. Au paroxysme de l’émotion, je sens déjà la culpabilité monter en moi, aborder mon esprit par sa rive la plus faible mais la plus empathique. J’en veux au déclencheur mais j’en veux à moi même, à ce fragment en moi qui jouit au plus haut point de cette libération d’énergie chaotique. La perte de contrôle, si effrayante, et aussi la joie sans pareille de vider d’un seul coup la retenue d’années entières. La rage contre le monde, moi, seul, et le débordement de mes émotions en un feu destructeur.
Je finis épuisé, je tremble encore de la décharge d’adrénaline et j’ai l’esprit vidé. Mes souvenirs sont flous, je sais que j’ai hurlé, que mon sang a coulé comme du plomb fondu à travers tout mon corps. Un jour quelqu’un m’a dit « Tu l’as bien mouché sur ce coup là », une certaine joie discrète mais ce n’était pas moi. Oui, ce n’était pas moi, ou bien si, justement, la crainte par dessus tout de ma propre violence, sans la moindre limite, jusqu’à la catastrophe.