Du sang et des ronces

Il y avait un lac, derrière la maison, et sur ce lac, une barque curieusement ancrée au milieu de celui-ci. Je rêvais de la rejoindre malgré ce que les autres enfants de l’école racontaient. Il était une fois… Deux enfants, un frère et une sœur vivaient au bord du lac et allaient à l’école de la petite ville tout comme aujourd’hui même si c’était il y a longtemps. A l’époque, il y avait un chemin qui longeait le lac pour rejoindre la grande rue et finir le trajet répété deux fois par jour.

Un jour, les deux enfants partirent ensemble, non sans s’être disputés assez violemment après le petit-déjeuner. Pour cette raison, leur mère – le père avait disparu dans la nature, les punit. Ils devaient rentrer directement après l’école à la maison, sans pouvoir jouer sur le terrain de sport avec leurs autres camarades.

Le frère et la sœur rentraient donc de l’école en boudant, longeant le petit lac. Le garçon ramassa un caillou et le lança de façon à faire ricochet… un…deux… trois… plouf. La fillette le regarda et sourit, il lui était difficile de rester fâcher avec son grand frère plus longtemps. Elle ramassa à son tour une pierre, la lança de toutes ses forces… un… deux… trois…bling ! Intrigué par ce bruit anormal, les deux enfants s’arrêtèrent pour de bon et scrutèrent la surface lisse de l’eau. Le frère jeta un caillou approximativement dans la même direction que celui de la jeune fille. Bling !

Alors, un bouillonnement surgit de l’eau, puis une ride en forme de V qui s’approchait vivement du bord. De surpris, les enfants commencèrent à avoir peur. Ils reculèrent. Une forme surgissait de l’eau, un homme dégoulinant de plantes aquatiques qui tenait un hachoir à viande. Aussitôt, les deux petits partirent en courant, affolés. Ce qu’il se raconte à l’école, c’est que la fillette se foula la cheville sur un pierre et chuta. Le garçon ne s’en rendit pas compte immédiatement et rentra bien vite à la maison.

Il n’osa raconter l’impossible rencontre à sa mère et lorsque celle-ci s’inquiéta de la disparition de sa sœur, il ne dit rien. La nuit allait tomber quand la mère prévint les autorités et la disparition fut jugé inquiétante assez rapidement.

Le jeune garçon, honteux d’avoir abandonner sa sœur décida de partir à sa recherche, en direction du lac. Il sortit et longea celui-ci. Il hésitait à jeter une pierre dans l’eau sombre qui reflétait la pleine lune. Il arriva à un hangar à bateau, fouilla l’obscurité du regard quand il entendit appeler son nom un première fois. Il se retourna vivement, le cri semblait provenir du milieu du lac. Il hésitait sur la marche à suivre. Il entendit de nouveau un cri l’appelant. Il vit au centre du lac comme une petite île pleine de buissons entremêlés, de ronces qu’il n’avait jamais remarqué auparavant.

Il vit une barque amarrée à un ponton, il y avait des rames, des dames de nage. Il détacha l’embarcation, et s’installa sur le banc. Son oncle lui avait montré comment faire aussi il se mit à ramer avec vigueur vers l’île impossible. Dans son sillage, une ride en forme de V se forma bientôt et il eut vraiment peur. Il s’arma de courage lorsqu’il entendit une troisième fois le cri déchirant qui l’appelait. Il en était maintenant sûr, c’était la voix de sa sœur, prisonnière de l’apparition de tout à l’heure.

Il atteint l’île avec dans son sillage la créature aquatique de cauchemar. Il jeta l’ancre, et sauta de l’embarcation un peu trop tôt, aussi, il eut de l’eau jusqu’au bassin. Il se démena pour avancer dans la vase, les algues s’enroulaient autour de ses pieds comme pour l’attirer au fond. En se retournant, il vit la tête de l’homme émerger à son tour de l’eau glacée. Quand il atteint la minuscule plage, il faillit s’écrouler de fatigue. Il gravit la berge, s’écorcha aux ronces qui tapissaient le sol. Une quatrième et dernière fois, il entendit son nom, dans un hurlement à glacer le sang.

Il parvint à une clairière exempte de toute végétation, le sol était de pierre. Et sur une sorte d’autel, sa sœur reposait nue et couverte de sang, un hachoir à viande encore planté dans le ventre. Il s’approcha en pleurant, elle avait mis ses dernières forces dans son dernier cri. Il entendit un bruit de pas derrière lui. Dans un accès de rage, il saisit l’arme fermement, la retira du corps encore chaud de sa sœur et taillada l’air derrière lui. Il sentit aussitôt qu’il avait touché au but. L’homme du lac hurla de colère mais son abdomen se vidait de ses entrailles sur le sol de roche. Le garçon repartit à l’assaut, il tranchait, découpait, se vengeait. Bientôt l’étrange homme aquatique cessa de bouger, aussi défiguré que sa victime.

Le jeune garçon tomba à genou en laissant échapper le hachoir. Il pleurait sans savoir quoi faire. Il y eut comme un tremblement de terre et l’île commença à s’enfoncer dans les profondeurs du lac. La roche fut bien vite inondé par l’eau sale, bientôt, il n’eut plus pieds.

C’est ainsi que l’on raconte la disparition de ce frère et sa sœur et que l’on explique la présence de cette barque ancrée au centre du lac. Aucun enfant de l’école n’ignorent cette histoire et plus personne n’ose y jeter de pierre. Pour ma part, je me sentais tellement seul, fils unique et sans aucun ami, que je rêvais en m’endormant d’atteindre la petite embarcation et de rejoindre mon frère et ma sœur de cœur, malgré le sang et les ronces.

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