Il y avait un trou dans le mur. Et au centre, un œil bleu gris qui me regardait. Je tremblais de peur, je n’avais que cinq ans après tout. Ce trou dans le mur m’obsédait et il m’obsède encore, alors que je trouve dans la même maison, dix ans plus tard.
J’ai quinze ans, je m’appelle Lucie et je suis schizophrène. Je le sais bien, c’est les voix qui me l’ont dit. Je suis avachi sur mon lit, les médocs font des trous dans mes pensées et je fixe le mur le regard voilé. Il y a toujours ce trou, ce vortex par lequel tout passe. Et ce bruit si horrible. Je déteste le silence mais la vibration de ce déchirement, la douleur de cette corde autour de mon poignet, c’est trop. Quand c’est trop, l’œil apparaît. Bleu, gris, la pupille dilaté et fixe. La lumière ne le fait pas cligné, les courants d’air non plus. C’est le centre d’une chose plus grande que la pièce qui m’observe, me met à nu. Je crie mais ça ne s’entend pas. Comme quand je cauchemardais enfant. J’avais beau essayé de donner de la voix pour appeler mon père, aucun son ne sortait de ma bouche, je me débattais dans les bras de Morphée pour hurler, pour demander de l’aide mais je restais empêtré dans les rets du sommeil.
Je suis là, les yeux braqués sur cette œil impossible. J’essaie de ne pas cligner moi non plus, pour ne pas qu’il rentre, pour que surtout il ne s’approche pas.
– Ferme les yeux. – non – si – laisse moi tranquille – non !
Les voix emplissent la pièce, je ne comprends rien, elles sont trop nombreuses. Je sers un peu plus la cordelette autour de mon poignet, j’ai envie de dessiner un cœur dans le vide, pour qu’il sorte de ma poitrine. Je sens du mouvement dans la pièce, le vent s’est levé dehors. La fenêtre est ouverte, une chose horrible commence à grimper, je vois sa patte griffu se planter dans le mur. Le cri enfle dans ma poitrine, traverse ma gorge mais arrivé à ma bouche le trou noir absorbe tout. Rien ne sort.
Soudain, la porte de ma chambre s’ouvre, le silence s’installe et l’œil disparaît.
– Lucie, tes médicaments. Il faut que tu manges un peu.
C’est le fantôme de ma mère. Elle ne fait que m’embêter avec ça. A chaque fois qu’elle vient. Je lui tourne le dos mais je dessers la corde de mon poignet. J’ai envie de l’étrangler avec mais elle est déjà morte, avec toute ma famille. Une famille de fantômes gris et tristes. j’aimais mieux la vie d’avant.
– Ma chérie, je veux t’aider. Tiens.
Comme je sais qu’elle lâchera pas l’affaire, je prends les comprimés bleu, blanc, rose, vert avec le verre d’eau qu’elle a posé sur la table de chevet. Dans vingt minutes c’est le black out. Les monstres feront ce qu’ils veulent de mon corps.