Il avale la pilule comme ça, sans eau. Alexandre a dix-sept ans, c’est sa première ecstasy. Bam, 250mg de MDMA d’un coup, pour un début, ça va secouer. Ce jeune homme est séduisant, musclé juste ce qu’il faut pour un post-adolescent. Il vibre au son de la musique deep house de la boîte de nuit. Ses yeux gris brillent dans les lumières de la piste de danse. Son demi-sourire attire les regards des filles autour de lui. Il le sait, il plaît.
Un quart d’heure passe, pas grand-chose, mais il se sent plein d’entrain. Il commence à danser avec une belle demoiselle, un peu plus âgée que lui.
« Salut, moi c’est Alexandre, crie-t-il pour se faire entendre par-dessus la musique tandis qu’ils bougent en rythme, un peu décalés.
– Ah moi c’est Énée, je suis mignonne pas vrai ?; sourire espiègle.
Alexandre, pris de court, examine la jeune fille de bas en haut, hésite un peu :
– Oui t’es pas mal. J’aime bien ton prénom. Mais attends, c’est pas un héros de l’Iliade ? C’est bizarre pour une fille.
– Ah, t’as de la culture. On s’en fout, viens, on se rapproche du DJ, il est canon. »
Et sans se retourner, Énée s’élance presque en courant vers les platines et le DJ aux cheveux gris.
Alexandre ressent les effets de la drogue, il sent que ses jambes ont du mal à le porter. « C’est donc ça la montée, » se dit-il. Il tient absolument à discuter plus avec Énée, qui crie devant la barrière qui protège le DJ.
« Ouaiiiiiis, envoie du lourd DJ ! hurle Énée.
– Eh, Énée, viens, on va prendre un verre et discuter ! J’ai trop envie de te parler ! dit Alexandre dans l’oreille de la fille.
– Bon ok, mais tu payes ta tournée, hein ? J’en vaut la peine, je le sais ! Elle rit à gorge déployée.
Ils s’écartent de la scène, Alexandre commande deux bières au bar et Énée trouve un recoin où la musique est un peu moins forte. Elle s’affale sur la banquette, elle a les pupilles complètement dilatées. Son prétendant aussi, il est à fond, ça fait une heure qu’il a pris la drogue.
« Eh Alexandre, c’est aussi le nom d’un héros, non ? Crache Enée avec un sourire. Celui qui a pleuré au bord de l’océan atlantique parce qu’il n’y avait plus rien à conquérir ?
Décontenancé, il répond maladroitement :
– Euh je sais pas et…
– T’inquiète on s’en fout. T’as pris une petit pilule toi et c’est ta première, ça se voit. Si tu voyais tes yeux dit-elle en riant. Moi, je suis habitué et si t’as pris la même que moi ça va te faire un choc. La drogue c’est mal m’voyez mais bon sang que c’est bon.
– Oui, des potes me l’ont donné, y avait un petit smiley sur un cacheton bleu.
– Oh alors ça va, t’as juste pris deux doses et demi. J’te dis pas ça pour que tu panique. »
Alexandre se sent près de ressentir de l’angoisse, il en veut un peu a Enée mais un truc l’attire vers elle, il a envie de lui raconter toute sa vie. « C’est fou » se chuchote-t-il à lui même.
Ils boivent leurs bières en silence, sourires complices de de jeunes gens qui s’apprivoisent. Puis ils se parlent, Alexandre fait défiler toute sa vie dans les oreilles attentives de la charmante Enée. Il ressent dans le corps des sensations agréables, il n’arrive pas à arrêter de parler. La fille rit et rit.
« J’adore les premières fois, ça me fait toujours rire de voir un primo-délinquant sous taz.
– Délinquant ? Bafouille-t-il.
– Bah prendre de la drogue c’est illégal en France tu savais pas ? ; même sourire espiègle que tout à l’heure.
– Ah bah d’accord, oui je le sais. Je sais pas trop pourquoi je voulais tester. C’est vrai que c’est amusant.
– Tu verras, avec moi, tu vas bien t’amuser. Allez on va danser putain ! »
Alexandre qui se sent mieux tenir sur ses jambes se lève.
Et ils dansent, Alexandre se lâche complètement et c’est pas la drogue, c’est cette fille. Quel charme ! Les heures passent, ils s’enlacent, s’embrassent, Alexandre n’a plus de contrôle, il ne réalise même pas que la boite va fermer. Enée lui lance :
« After chez moi ?
Alexandre est à la fois fatigué et motivé.
– C’est parti ma belle. »
Ils quittent la boite de nuit, longent les quais et se retrouvent dans un studio.
« Bon alors on fait quoi ? Je couche pas le premier soir ; de nouveau sourire espiègle. Toi t’es en descente, ça se voit, t’en a pas un peu marre ?
– Euh, je suis fatigué, je veux juste me coucher.
– Prends le canapé, je vais mettre la télé. Moi, j’adore regarder les lapins crétins au petit matin. Tu vas pas pouvoir dormir avant un moment même si t’es épuisé. C’est le deuxième effet kiss cool. »
Affalés sur le canapé, épuisés, les deux petits adulescents discutent de tout et de rien puis le soleil se lève sur cette nuit folle pour Alexandre. Et c’est tout. Pas de catastrophe, des fois, les choses se passent bien. Puis Alexandre finit par s’endormir.
Énée s’amuse à dessiner une moustache sur le visage charmant de son flirt de la nuit, puis regarde tranquillement les dessins animés ; ensuite, discrètement, elle quitte le studio qui n’est pas du tout le sien. Elle referme la porte d’entrée et se demande ce que son amie Sophie pensera en trouvant ce beau jeune homme sur son canapé.
Énée est ainsi, insupportable et attirante à la fois. Un électron libre, peut-être sortie d’un rêve ou évadée d’un autre monde.