Un violon dans la nuit

Il y avait un violon. Je l’entends encore. Une folie absurde avait envahi mes nuits et je l’entendais alors à l’heure sombre du diable, vers trois heure du matin. Un oubli fané, un oubli qui guidait ma conscience vers un abîme incertain, ce violon qui m’obsédait, des notes si divines que je n’osais qu’à peine imaginer l’interprète de cette grandeur.

C’était une femme, plus petite que moi, l’instrument venait se glisser sous son cou gracile, en une étreinte fraternelle. Je la voyais en imagination, derrière les murs épais, jouant sans relâche une mélodie céleste qui guidait mes insomnies vers un monde soucieux seulement de la beauté des sons. Les images s’accumulaient, des rouges et des bleus vifs, en vrilles soutenues par les cordes tendues à craquer d’une machine à rêves. Les étoiles brillaient dans ses yeux bleus, et ses cheveux auburn dansaient au rythme parfois calme, parfois endiablé de ces sons erratiques qui éloignaient le sommeil.

Je la voyais, elle dansait lentement, posant l’un après l’autre ses pieds nus sur le parquet tiède, de l’autre côté du mur, si loin et si proche à la fois. Je ne pouvais fermer les yeux qu’un instant à peine car alors la musique me transposait chez elle, en elle et je ne voyais plus rien. Les sons raisonnaient en moi alors que ses doigts fins pinçaient les cordes acérées tandis que l’autre main guidait avec vigueur un archet si vivant. Vivant, je ne l’étais plus vraiment qu’à cet instant.

Je n’étais pas à ma place dans cet appartement sordide. Les journées de travail s’accumulaient, maussades et les trajets jusqu’à mon domicile pleins des dissonances de la vie… j’allais dire réelle. Alors la nuit venait, toujours, je redoutais la venue du sommeil, toujours je craignais de rater la musique magique qui donnait à ce monde l’éclat et les couleurs de la vie et toujours, à trois heure du matin, à l’heure du diable, le violon et sa mystérieuse interprète – ou bien est-ce l’inverse, envahissait ma chambre. Je me laissais alors porter par la mélodie, mes rêves happés par l’archet si agile tandis que mon esprit, apaisé, laissait grandir mon âme, la laissait s’éloigner dans un voyage astral de l’autre côté de ce mur si épais et si fin à la fois.

Par dessus tout, je craignais la fin de ce rituel nocturne et maintenant, j’ai conscience que ça ne pouvait pas durer un temps indéfini. J’aurai pu frapper chez mes voisins, rencontrer l’interprète de mes nuits mais je sentais au fond de moi que ce n’était pas la chose à faire. Alors, après une journée plus sordide qu’à l’ordinaire, pleines de fausses notes et d’accords désaccordés, j’attendais trois heure avec un impatience vive des craintes qui m’animaient. Ce fut le silence.

Je fus pris d’une rage folle, me levait brusquement en renversant la table de nuit qui partit voler contre le mur tandis que la lampe que je venais à peine d’allumer se fracassait sur le sol en centaines de fragments de verre blanc. J’arrachais les draps de mon petit lit puis je le retournais, je cherchais à déchirer de mes mains la mousse bon marché. J’étais pieds nus et les bouts de verre répandus sur le sol me blessèrent cruellement. Je n’en avais cure, chaque petite morsure était comme une note de musique, celle qui m’avait été arrachée sans prévenir. Je ne me souviens plus trop de la suite. Les pompiers et la police sont venus, alertés par le voisinage. J’avais la bave aux lèvres quand ils ont défoncés la porte alors que je hurlais des paroles incohérentes à propos d’un violon et d’une femme. Les médecins m’ont dit plus tard que j’avais fait une crise d’épilepsie et le SAMU m’avait donné un médicament qui occultait la mémoire.

Aujourd’hui, dans cette chambre si blanche, je ne tolère plus aucune musique. Systématiquement, la moindre note me met en rage, et je finis toujours par perdre conscience, animé de tremblements erratiques. Pas même les neurologues ne savent expliquer mon trouble si particulier. Les médicaments m’écrasent, me maintiennent dans un calme relatif et les somnifères transforment mes nuits en un bruit blanc étourdissant dans lequel se dessine la silhouette d’une femme.

Si seulement, je pouvais, à nouveau entendre ce violon.

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