Dernier appel avant l’avenir

Elle court sur la plage, juste à la limite des vagues. Il pleut, les rouleaux s’écrasent contre les rochers avec régularité. C’est un son qu’elle aime. C’est peut-être la dernière chose qu’elle aime. « Tu n’en mourras pas. », elle n’en mourra pas, elle en ai convaincue, autant que les mots de son père l’ont blessée.

Elle court, pieds nus et les empreintes qu’elle laisse sur le sable se remplissent de toute l’eau du ciel avant même que les vagues les estompent. Elle se sent essoufflée, ralentie le rythme, voilà, elle sent dans sa poitrine son cœur se calmer un peu, malgré la peine qui l’étouffe, malgré le poids écrasant du souvenir, de l’avenir, en somme du destin.

Il n’est plus là mais il n’est pas vraiment parti. La porte de la maison de campagne est restée close. Il aurait pu crier, elle aurait pu répondre sur le même ton mais ce n’est pas arrivé. Elle aurait pu pleurer, et elle a pleuré mais c’était trop tard. Être père, être fille. Avec cet homme entre les deux ; cet homme qui ne reviendra pas. Elle n’en est pas morte mais lui si.

C’est stupide et absurde ; la vie s’en vient et elle s’en repart aussitôt. Voilà ce qu’elle pense pendant sa course sans but. Son téléphone vibre dans sa poche arrière mais elle s’en fiche. C’est triste comme un accident est vite arrivé. Un accident stupide et absurde. Une branche d’arbre, une route humide, un plot en béton. Crash. C’est tout. Pas de dernier acte héroïque, pas de suicide romantique du haut d’une falaise. Même pas la bêtise d’avoir bu ou pris de la drogue. Juste un hasard cruel et sans pitié.

Alors elle court, avec méthode. Ses pieds frappent le sol, les vibrations remontent dans ses mollets, dans ses cuisses ; elle se tient droite, respire avec régularité ; ses avants-bras restent mobiles, accompagnent les foulées tandis que sa queue de cheval humide bas l’air de gauche à droite, puis de droite à gauche. La pluie battante masque les larmes silencieuses qui coulent sur ses joues au diapason des éléments. Il n’y a rien de plus à faire pense-t-elle. Et cela la rassure.

Un chaos de rochers barre la plage, aussi, elle arrête sa course. Comme dans le même mouvement, la pluie cesse avec brutalité. Il n’y a plus que le bruit des vagues et un discret sanglot. Tristesse. Son esprit en est remplie. Elle se tourne vers l’océan, contemple son dernier refuge, sa dernière Grâce, son dernier espoir.

Et puis, dans une épiphanie laïque, un rayon de soleil crève les nuages, déchire la mer d’une lumière d’or pur. Un sentiment brûlant l’envahit. L’espoir, celui-là même qu’elle croyait perdu à jamais est bien présent. Elle pleure à chaudes larmes mais ce sont des larmes salvatrices qui apaisent son âme éplorée. Il est parti, je suis restée pense-t-elle. Je n’en mourrai pas et son souvenir non plus.

La lumière diffractée éclaire son visage, elle connaîtra encore la joie, encore la peine, mais son masque de souffrance est parti. En courant, elle s’est retrouvée, elle a rattrapé ce fragment de cœur qui voulait partir avec lui. Une et indivisible. Forte et entière. C’est ainsi qu’elle affrontera le monde désormais, tout autant qu’avant, avec une cicatrice qui s’estompera lentement.

Elle prend le téléphone dans sa poche arrière. Il est là, en fond d’écran. Un dernier regard, une dernière étreinte et puis elle appelle son père.

« Allo Papa ?…Je rentre, c’est fini ».

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